Chers lecteurs, chères lectrices
Plus malade, et pas encore guérie. Qui suis-je ? Il ne s’agit pas d’une devinette. Pas d’une charade. D’une histoire drôle non plus. Il s’agit de savoir, de comprendre, comment s’appelle cette étape, cette transition entre vais-je bientôt déposer les armes et je vais bien tout va bien. Alors que j’ai maintenant dépassé le stade des traitements, je me demande… Qui suis-je ? Ou vais-je ? Dans quel état j’erre ?
Début de l’histoire en avril, lorsqu’on lâche le mot : cancer. Je mets alors un temps certain à savoir ce qui m’arrive. Ce que je suis. Ne me sentant pas malade, puisque le crabe est sournois, pervers, et évolue à bas bruit. Pas saine non plus puisque je dois me faire opérer, étant l’hôte malgré moi d’un… symbiote… faisant de moi un goa’uld. Je peine à dire LE mot. Je ne comprends pas pourquoi je serais en arrêt de travail, et je m’imagine au bout d’une bonne semaine après l’intervention reprendre ma vie comme si elle n’était pas suspendue à un fil. Mon chirurgien me met en garde pourtant, en me prédisant que j’allais réellement prendre conscience de mon statut de malade, lorsque je serais sur mon lit d’hôpital. L’avenir me dira qu’il avait raison. Expérience… Mais il a eu la sensibilité et la diplomatie de me l’amener en douceur. Et je l’en remercie.
Le 5 juin, je suis donc malade. Quel choc ! Mais le 6 je crois un instant que je suis guérie. Cet état n’aura cependant duré que quelques heures, car les effets de l’anesthésie, les douleurs post op, le pansement énorme, puis les cicatrices, me remettent les idées en place. C’est là que je deviens officiellement propriétaire du coin du canapé, alors que l’endroit était jusqu’ici celui de Mika.
Du 6 au 10 juin, je suis en lévitation. J’attends de savoir ce que la vie me réserve. On me dit certaines choses, j’en imagine d’autres, je n’en parle pas trop, je ne veux pas avoir l’air de dramatiser. Et puis… L’état de grâce se rompt et je retombe lourdement sur mon postérieur. Après avoir été presque en convalescence, me voilà mourante. J’exagère ? Ah tiens… Vous réagiriez comment, vous, si on vous annonçait tout de go : cancer de haut grade, donc dangereux, ce qui induit une chimio, une radiothérapie, et que comme la bête est négative à tous les récepteurs, ce qu’on peut proposer pour éviter une récidive est égal à… rien du tout ? Ah, bien sûr, en prime on va tester mes gênes, parce que si tout va bien, en plus, mes enfants risquent d’être atteintes aussi, avec tout ce que ça induit. Donc me voilà presque mourante et responsable de la vie compliquée future de mes enfants. Mais j’ai le moral. Un bon moral, de bonne mourante qui n’a pas encore dit son dernier mot. Enfin avant ça, j’ai pleuré.
Ensuite sont venu les traitements. Avec ce que ça entraine de visible aux yeux du monde : coupe de cheveux à la Nathalie Portman, yeux globuleux à la E.T, teint cireux à la Edward Cullen dans Twilight. Et ce qui est invisible du grand public mais non moins difficile à vivre : la fatigue, les nausées, les douleurs insupportables, à en pleurer, les baisses de moral, l’envie tantôt de se terrer dans un trou, tantôt de tout envoyer valser. Avec ça, les projets de vie avortés, ceux qu’on tente de mener à bien mais qui foirent parce que, finalement, ce n’est le bon moment pour rien. Et puis le regard des autres, si lourd, si pesant.
Mais j’ai appris à vivre cette période, et à saisir quel rôle il m’incombait de jouer à ce moment là. Il faut dire que j’ai été en traitements de mi juillet à mi novembre, ce qui laisse un peu de temps pour s’y faire. Et puis, j’avoue, j’étais bien aidée, bien entourée. Et c’est aussi pour ça, que j’ai trouvé ma place. J’ai même réussi à entrainer avec moi certaines personnes qui avaient peut être plus de difficultés à se poser. Dans mes rencontres à l’hôpital, par la lecture de mes écrits. Et j’en suis heureuse. Je n’en tire aucune vanité. Juste de la joie, si j’ai pu jouer un rôle d’aidante dans cette démarche particulière, de ne pas se perdre, de se retrouver sinon.
Et un jour, les traitements sont finis. Jour de joie, jour de victoire. Moi, j’ai terminé le 7 janvier 2016. Date que je ne pourrais jamais oublier. Date de renaissance. Mais date aussi de sortie de ce statut de malade. Alors quoi, ça y est, je suis guérie ? J’aimerais tant pouvoir dire comme César : veni, vedi, vicci. Mais si tel était le cas, ne serais-je pas lâchée dans la nature avec un « au revoir madame et merci de votre passage parmi nous » ? Ne pourrais je pas prétendre à un non retour définitif dans cet endroit qui m’est devenu si familier désormais ? Est-ce que, comme mes filles qui ont actuellement la varicelle, je ne pourrais pas dire : bon ben moi, ça y est, je l’ai eu mon cancer, je suis tranquille à présent ? Malheureusement, c’est un grand NON qui résonne dans ma boîte crânienne. Je ne suis plus malade, a priori, puisque je viens de terminer mes traitements. Et vous savez ce qui est vraiment gênant dans ma phrase ? C’est le « a priori ». Il ne s’agit pas d’un oui, catégorique, affirmé, clamé haut et fort, celui qui saurait m’apaiser, me donner les moyens de tourner la page une bonne fois pour toute. Il s’agit d’une supposition. Mais pour en être un peu plus sûr, la route sera encore longue. Et vous savez ce qui est vraiment gênant dans ma phrase ? C’est le « un peu plus ». Parce qu’en fin de compte, on ne sera peut être jamais tout à fait sûr. Et donc maintenant, commence une phase de surveillance accrue, rassurante et inquiétante à la fois, qui est sensée me protéger. Rassurante, parce que cette fois, plus de place au hasard. On sait où et que chercher. Et on le fera, j’ai confiance en l’équipe qui me prend en charge pour ça. Inquiétante, parce que chaque fois que j’attendrais un résultat, chaque fois que je devrais passer des examens, chaque fois que je devrais replonger dans cet univers, je ne pourrais m’empêcher d’avoir ce sentiment de déjà vu, et cette appréhension de connaître le verdict. Inquiétante parce que le risque de récidive est bien plus élevé dans les premiers mois, les premières années, et que donc, non contente d’avoir fermé une parenthèse de ma vie, j’ai le sentiment d’en ouvrir une nouvelle. Ma vie ne sera-t-elle alors formée que de parenthèses successives ?
La rémission. Un jour. Lorsque le corps médical estimera que cela fait assez longtemps que je n’ai pas abrité un autre symbiote. Alors elle sera prononcée. Mais je ne la touche pas encore du doigt. Et si bien entendu, je l’espère, de tout mon cœur, de toutes mes tripes, je la vois loin, comme une étoile haute dans le ciel, insaisissable, et pourtant si belle et brillante. L’étoile du berger, que je veux suivre pour rejoindre la crèche. Ca, c’est la rémission.
Et puis, un peu plus loin de ces aspects purement médicaux, mon corps meurtri par tout ce qu’on lui a infligé, n’en est pas sorti indemne. De la prise excessive de poids dont je ne suis pas fière, mais que je n’aurais pas pu éviter car merde, un combat à la fois c’est bien suffisant, aux douleurs qui m’habitent lorsque je fais un peu d’exercice, parce que cela fait quelques mois que je n’ai pas pu bouger à ma guise, en passant par le cœur qui bat bien trop vite et bien trop fort, et le souffle qui devient si vite court et douloureux, à la simple vue d’un escalier un peu raide, je suis abîmée. Et contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas parce qu’on claque la porte de l’hôpital de jour qu’on retrouve illico presto sa prestance d’antan. Alors de là à retrouver une vie normale… Dans mon métier, je dois être en forme. Physiquement, et moralement. Moralement, je suis sure que ça ira. Je suis une battante, la plupart du temps j’ai un moral d’acier, la rage de vivre, et je n’ai pas peur de ne pas y arriver. Mais physiquement… c’est une autre histoire. Et je vais devoir prendre mon mal en patience, mais aussi le taureau par les cornes, et travailler auprès de professionnels pour retrouver mon corps. Moi qui pensais que je pourrais continuer à courir, ou tout du moins à marcher des kilomètres pendant mes traitements, comme avant, je me suis bien avancée. Je repars plus bas que zéro. Et je sais qu’il va me falloir des mois pour me reconnaître.
Alors à tous ceux qui traversent les mêmes épreuves que moi, et à leur entourage, j’ai envie de dire : bienveillance. Envers nous-même. Parce que si nous avons franchi une grande partie de toutes ces épreuves haut la main, je ne suis pas sure que celle qui nous attend n’est pas au moins aussi difficile. Envers votre proche ex-malade-pas-encore-guéri. Parce qu’on a autant hâte de pouvoir tirer un trait sur tout ça, que vous de voir notre vœu le plus cher se réaliser, à savoir retrouver une vie normale mais que pour le moment c’est juste impossible. Parce que notre patience a été mise à rude épreuve et qu’on nous en demande encore et toujours. Que non, nous ne sommes pas en vacances, mais encore en chemin vers la guérison. Parce qu’on a pas choisi notre cancer. Qu’on l’a combattu, et que malgré tout on a pas encore fini. Bienveillance et amour, afin de ne pas nous infliger une humiliation supplémentaire. Un jour, on sera à nouveau nous même. Laissez nous juste un peu de temps. D’autant que…
Je ne suis plus malade mais je ne suis pas encore guérie. Et à la question « qui suis-je ? », je suis incapable de répondre... Et vous, savez vous qui vous êtes ?