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2021-04-01T13:53:33+02:00

Chroniques d'une tortue encloisonnée J-15

Publié par Estelle Lang Trommenschlager

Chroniques d’une tortue encloisonnée

J-15

 

Il fait jour. Dans son enclos pas très grand, la tortue se sent un peu à l’étroit. Manger, travailler, lire, se reposer, écrire, téléphoner… et même faire du sport en visio avec les Amazones, tapis, step, haltères, désaltère, etc… Tout se fait en un même lieu.

Mais quand vient le soir, et que le rideau tombe, laissant l’ombre répandre son manteau, l’enclos devient grand, si grand,… que la tortue qui n’y est plus habituée, se sent… petite, perdue… et seule… Dans le lit, il y a la place vide de papa tortue. Dans l’esprit qui vagabonde, il y a cette brume épaisse et malodorante, celle qui laisse deviner la forme de monstres dans ses contours.

La tortue a de la chance, elle possède un ingrédient magique, qui lui permet chaque nuit de rejoindre un prince appelé Imovane (3.75mg, le double si elle veut écourter les préliminaires…). Alors après avoir avalé sa potion, elle prend un livre, et attend que les mots dansent devant ses yeux, et n’aient plus aucun sens. Puis elle le pose, éteint la dernière petite lumière, et sombre dans un sommeil peuplé de rêves étranges.

Mais là, il fait jour ! Tadaaaaaam !

Les bonnes nouvelles d’abord :

  • Mika se sent mieux. Il est même en train de se raser si le bruit que j’entends me parvenir depuis la salle de bain est bien celui de la tondeuse (à gazon, fallait au moins ça !)
  • Il fait un temps estival à l’identique de celui qu’on a eu en mars / avril dernier, et même si on est d’accord que c’est trop tôt pour la saison, et qu’il semble que ça ne durera pas, je prends, j’emmagasine, et je profite. Parce que ça fait du bien, et qu’en plus, eh bien… on a pas la main sur la météo (OUF ! quelle responsabilité..).
  • J’ai passé toute la matinée à échanger au téléphone et par mail avec le boulot, on a des projets plus qu’il n’en faut, ça me stimule et ça me donne un peu l’impression d’être utile quand même… même à distance.
  • Je suis en contact avec quelqu’un qui me touche particulièrement, elle se reconnaitra sans aucun doute, et nos échanges me mettent en joie. Quelle magnifique humanité, quelle belle rencontre même exclusivement épistolaire.
  • Ce midi, j’ai décidé d’aller au restaurant : Tortue chef cuisto a enfilé son tablier et m’a composé une salade vraiment très jolie et très complète, bonne pour ma santé, parce que je le vaux bien. Ensuite, tortue serveuse a préparé le salon de jardin, posé une nappe et m’a demandé ce que je voulais boire. J’ai commandé un coca zéro avec de la glace et une tranche de citron. Petite parenthèse bien sympathique. Bravo pour le service !
  • Hier j’ai pu aller courir 5km ce qui m’a fait vraiment plaisir et beaucoup de bien. Avec mon con de genou, il était tout content !
  • Ce matin, j’ai pu voir mes filles qui sont passées chercher des affaires. L’échange s’est fait à l’extérieur, avec les masques, et sans contact. Mais ça fait du bien de les voir tout de même.
  • J’ai encore perdu 300gr. (Et oui, ça compte !)

Et puis, y a les trucs moins sympa…

  • Voir les larmes couler entre les lunettes et le masque de Faustine parce que « je ne peux faire de câlins à aucun de mes parents ».
  • Savoir que nos enfants appréhendent tant la reprise de l’enseignement à distance.
  • Le weekend de Pâques sans tous les offices religieux… pour la seconde année consécutive. Heureusement qu’on a le virtuel qui s’est bien développé, mais en étant sur les écrans toute la journée pour le boulot, ça fait aussi du bien de passer à du… réel ?
  • Mes « personnes fragiles, âgées et seules » me manquent… Parfois, je n’ai même plus le courage d’appeler pour demander « comment ça va ? » parce que j’ai peur de la réponse.
  • Mes angoisses qui ont tendance à se rappeler à moi plusieurs fois par jour, en me susurrant à l’oreille des choses désagréables. Et si je ne les écoute pas ? Elles s’insinuent dans chaque partie de mon corps… pour que je ne puisse plus les ignorer. « La peur n’évite pas le danger », que je leur réponds. Mais… parfois, je peux le leur crier très fort, elles se rient de mes rebuffades. Alors je demande de l’aide plus haut, et je trouve la Paix. Parfois c’est un peu plus difficile. Mais ça finit par arriver.

Je m’étais déjà fait la réflexion l’an passé : « Le confinement, moi je connais »! C’est pareil que quand j’étais en traitement, que je ne bougeais plus de chez moi parce que j’étais assommée par la chaleur et les chimios, et que les jours finissaient par se mélanger jusqu’à ne plus avoir aucun sens pour moi. Le rythme du quotidien complètement bouleversé, le moral des troupes qui oscille comme oscille le temps (et au mois d’avril, on peut s’attendre à tout !), une absence de visibilité sur la ligne d’horizon. Un mur dressé devant tous les chemins qui mènent vers l’avenir. Alors puisque je connaissais, je ne l’ai pas trop mal vécu. Mais j’ai pu voir les dégâts de cet enfermement, même dans une prison dorée, et l’impact sur chaque personne de mon entourage. Et je crois que c’est ça qui me fait le plus peur à ce jour. Revivre l’inquiétude pour eux. L’an dernier, j’ai tout pris à bras le corps. J’ai fait mon maximum pour être partout, sur tous les fronts. Et là ? Je suis fatiguée. J’ai envie de me reposer. J’ai envie, moi aussi, que tout ça s’arrête. Et ça aussi, j’ai connu. Quand à la fin des traitements, j’ai appris ma mutation génétique, et que de « tout est ok, tu peux refermer le livre » on est passé instantanément à « t’inquiète pas, y a d’autres volumes à explorer ! ». Là aussi, j’étais assommée, fatiguée…

Donc… puisque toujours j’essaye de voir le verre de coca à moitié plein, avec des glaçons et une rondelle de citron, je peux vous dire aussi que, après le temps de sidération, de ras le bol, de « je plaque tout pour vivre en théorie, parce qu’en théorie tout va bien », eh bien… Soldat tortue s’est relevée ! Et que si le soldat tortue a pu le faire, on pourra le refaire. Ensemble si vous voulez. Ensemble même de loin.

Hauts les cœurs, les petites tortues. Hauts les cœurs, armée de tortues, et vous autres tous autant que vous êtes. On a pas la main sur ce qui se passe ? Mais on va se relever. Il le faudra bien. On a tous des ressources insoupçonnées en nous. Ne soyons pas pressé d’être à demain, car à chaque jour il y a certainement un petit rien qui aura valu la peine d’être vécu. Cherchez bien ! Cherchez mieux 😉

Carapacement votre,

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commentaires
A
bonjour, <br /> j'adore votre écriture et surtout votre optimisme. <br /> Merci de nous rappeler certaines valeurs et de nous faire "positiver"..
Répondre
E
Merci beaucoup! C'est toujours un plaisir d'avoir de petits comm :)

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