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2021-12-05T11:28:03+01:00

Covid le retour? J'ai testé pour vous... témoignage d'une journée aux urgences

Publié par Estelle Lang Trommenschlager
Covid le retour? J'ai testé pour vous... témoignage d'une journée aux urgences

Mardi matin, le téléphone sonne. C’est l’une des cadres de pôle qui t’appelle, en te demandant si tu veux bien venir en renfort aux urgences, car on pressent que la situation sanitaire va s’aggraver. Vous n’auriez pas aimé être dans ma tête à cet instant quand mon petit ange et mon petit démon ont commencé à négocier :

«  -Non pitié pas ça

- Oui mais en même temps je suis un ancienne du service je connais, c’est normal d’aller donner un coup de main

- Non mais ce sont des postes de 12h, j’ai jamais bossé en 12h, sur un 6ème jour de boulot en plus…

- Ah je peux choisir le jour que je veux faire ? Sur les weekends de décembre ? Et si je me sens pas de faire 12h ils prennent ce que je peux offrir ? Ouai mais bon, un poste c’est 12h donc…

- Impossible, quand j’ai quitté les urgences, j’étais à bout physiquement et psychologiquement… je suis allée en renfort covid dans d’autres services et ça m’a fait plonger encore plus bas…. Je n’y arriverai pas

- Ouai mais punaise ce diplôme je ne l’ai pas passé pour rien ! Soigner, c’est ma vocation ! J’aime ce que je fais, j’aime pouvoir être utile auprès des patients, et en prime, je crois que je le fais plutôt bien, du moins je fais de mon mieux.

- Tellement de choses ont changé là-bas. Je ne connais plus grand monde de l’équipe, les locaux ont été modifiés, l’organisation, le logiciel informatique, je risque d’être la reine des boulets à devoir toujours demander telle ou telle information…

- Peut-être que pour moi, c’est une bonne façon de voir si je suis partie pour de bonnes ou de mauvaises raisons ? Si c’est moi qui n’encaissait plus le stress ou si c’étaient les urges qui étaient à bout de souffle

- Estelle faut que tu te décides tu es en ligne avec la cheffe, là, elle attend une réponse. Juste un oui, ou un non. C’est tout !!

- Ouai mais purée c’est dur de dire non…. Et c’est dur de dire oui !!! »

Puis ma réponse : « Oui. Ok je prends samedi qui vient, et je prends les 12h. Non, mais de rien c’est normal. »

Oh putain j’ai dit oui ! Faut que je la rappelle pour dire que je me suis trompée ! Ensuite, j’ai arrêté de penser, j’ai commencé à flipper…

Je vous préviens, ce texte n’est pas une fiction, et toute ressemblance avec des faits existants est exactement normale. Je vous tairai pourtant des détails qui pourraient aller à l’encontre du secret professionnel, et je minimiserai probablement la situation, car il y a des faits pour lesquels aucun mots n’est suffisant.

Soignants de tous horizons, ce texte est pour vous. Pour témoigner de votre quotidien.

Famille, amis, collègues, voisins, connaissances, vaccinés et non vaccinés, jeunes et moins jeunes, ce texte est pour vous. Parce que vous n’aurez pas tous une vision de l’intérieur, hormis ce qui est montré dans les journaux ou à la télé, et qui émane de sources lointaines. Ce texte je l’écris pour que vous qui me connaissez, vous sachiez la réalité du terrain, à ce jour.

Samedi 4 décembre 2021, 7h20. Je suis parée, je pousse les portes du service. Armée de mon petit carnet que j’avais bien conservé avec les protocoles, les dilutions de médicaments, quelques infos… Ma pince kocher, ma paire de ciseaux, et outil suprême : mon stylo 4 couleurs.

7h30 c’est parti. Transmissions avec l’équipe de nuit, je suis censée être là en renfort, donc on se dit que là où il y aura besoin de moi, j’irai au fil de la journée, donner tous les coups de mains que je pourrais.

7h40, je ne connais plus trop la configuration des espaces, ma collègue me fait faire un petit tour.

7h50, je découvre la pièce réservée aux patients Covid+, qui permet de les isoler des autres patients.

8h, finalement étant la seule sans secteur défini, on part du principe que je vais rester en secteur Covid pour le moment.

13h30, je suis en nage, je n’ai pas bu, je n’ai pas fait pipi, ma collègue aide-soignante a été d’une efficacité redoutable sans laquelle je pense que je me serais noyée. Le bilan : des 6 places dédiées dans la pièce Covid, nous sommes passés à 2 pièces, pour 12 places. Et sur 12 places, 14 brancards de patients Covid+ qu’il a fallu mettre sous oxygène, installer, à qui il a fallu poser une perf, faire un bilan sanguin, piquer des gaz du sang en artériel, réaliser un électro cardiogramme, faire ce qu’on appelle un criblage, c’est-à-dire un test PCR qui est destiné à déterminer de quelle souche de Covid il s’agit.

A 13h30, avec l’aide d’une infirmière du SMUR qui dès qu’elle pouvait montait me donner un coup de main, avec l’aide d’une infirmière de secteur qui m’a montré comment réaliser des tests PCR et a prélevé une bonne partie de mes patients, avec l’aide du collègue du circuit court qui a bloqué la porte entre le secteur covid et non covid pour préserver les patients sains, m’a perfusé un jeune homme qui n’allait vraiment pas bien, avec l’aide du collègue aux horaires décalées qui m’a fourni en matériel qui dès qu’on remplissait le chariot était aussitôt vidé, m’a apporté des médicaments dont j’avais besoin pour les injecter au plus tôt aux patients critiques, et avec l’aide des cadres qui ont été appelés sur leur astreinte et qui ont géré tous les soucis d’approvisionnement, d’organisation, etc…. eh bien j’ai pu regarder ma montre… et voir qu’il était 13h30.

J’ai oublié de mentionner nos 2 internes. Ils étaient là, présents, réactifs, doux avec les patients, reconnaissants avec les soignants, aidants en allant eux même reprendre une tension, une glycémie ou brancher un paracétamol. Ils n’ont pas chômé, qu’on se le dise. Ils n’ont pas chômé.

A 13h30, ma copine qui était au triage m’a apporté ma bouteille d’eau, mais comme j’étais équipée d’un masque FFP2, de gants, d’une surblouse et d’une charlotte, j’ai bien vu ma bouteille, je l’ai suppliée du regard, mais je ne savais pas quoi en faire… Alors j’ai demandé à ma collègue aide soignants qui gérait de ouf et d’une main de maître, si je pouvais la laisser le temps d’aller faire pipi et boire.

Je me suis déshabillée. Lavé les mains. J’ai remis un masque chirurgical, me suis lavée les mains, et je suis sortie avec ma bouteille, et bu 750ml d’une traite. J’ai pu aller faire pipi également, et lorsque je suis revenue, il semblait que nous allions pouvoir nous partager pour prendre une pause. Il était un peu plus de 14h quand enfin, je me suis assise. J’avais prévu de m’emmener juste un petit goûter, je n’avais pas pris de petit dej parce que je ne déjeune jamais, je commençais à ressentir la fatigue. 2 pom potes, 3 tartines de pain d’épice avec du beurre et 1 manala plus tard (bon, ok, j’en ai mangé 2… mais juste 1 avec des pépites de chocolat !!!) 2 tasses de thé et quelques échanges vraiment sympa avec une équipe magnifique, c’était reparti.

Le début de la seconde période a permis de faire sortir quelques patients. Ceux qui pour la plupart étaient déjà là bien avant que je n’arrive moi-même sur mon poste du matin. Il étaient moins inquiétants que ceux que nous gardions, et pouvaient rentrer, parfois avec de l’oxygène, chez eux.

J’ai changé de binôme, les aides-soignantes ont tourné sur leurs postes, et ma nouvelle collègue était tout aussi formidable que celle du matin. J’ai passé une bonne partie de la journée à lui demander de se déshabiller pour aller me chercher des médocs, les prescriptions des bilans sanguins, d’envoyer les bilans au labo… eh bien oui, parce que je ne pouvais plus quitter ce secteur et que nous n’avons qu’un seul service des urgences, avec une espèce de bureau central où tout ce dont j’avais également besoin ne m’était pas accessible !

La cadre a appelé l’informaticien de garde pour qu’il nous raccorde une imprimante dans le couloir de ce qui est désormais une unité covid à part entière et pour une durée indéterminée. J’imagine comment il a dû se sentir en entrant dans ce qui est clairement un monde à part, a dû s’équiper tout comme nous, sans avoir l’expérience que nous avons, le regard du soignant qui a désormais l’habitude… Vous imaginez ce monsieur, qui ensuite est rentré chez lui, en ayant vu ce que le public ne voit jamais ? Vous imaginez vous trouver en zone de guerre sans y avoir été préparé, et rentrer chez vous dans le confort ? C’est de ce décalage dont je vous parle. Ce décalage entre ce que VOUS voyez et ce que NOUS vivons. Et ce monsieur, c’est comme si c’était vous qu’on avait posé là, pour une mission primordiale, vous n’imaginez pas à quel point son rôle est important, dans l’état actuel des choses. Je ne sais pas si lui-même l’imagine. Si quelqu’un le connaît, qu’il n’hésite pas à le lui dire. A lui transmettre. Il a fait partie de l’équipe. Il fait partie des nôtres.

Nous avons pu faire rentrer quelques patients, qui étaient covid+ mais venaient pour autre chose :une chute à domicile, une douleurs thoracique, que sais-je… Mes collègues devant m’ont même proposé à la fin qu’on rassemble tout le monde dans une même pièce, et que l’autre puisse à nouveau accueillir des non covid. Je ne sais pas quelle heure il était alors mais je leur ai dit que tant qu’on avait pas besoin de les bouger parce que le secteur non covid était en capacité d’accueillir tout le monde, je n’étais pas certaine que ça vaille le coup. Que si on recevait à nouveau des patients covid, on devrait refaire comme le matin, branle-bas de combat etc…

Bref, on a pas eu trop le temps de se poser la question. Annonce du triage : 4personnes arrivent pour nous. C’est reparti. Heureusement, une inf du SMUR a pu rester avec moi, elle a techniqué 2 des patients, pendant que je passais les traitements aux autres . Des antibios, encore des antibios… On en a plus… il a fallu en chercher dans les autres services, mais les patients covid qui monteront dans des lits (qu’on a pas non plus…) en auront également besoin là-haut. Pour la nuit, ça pourrait suffire. Demain, il faudra que la pharmacie nous approvisionne. Antibio et corticoïdes. Tous logés à la même enseigne. Et les bouteilles d’oxygène aussi. Il faudra qu’on réapprovisionne. Ca descend trop vite pour finir le weekend. Ah mais c’est le weekend ? Vu l’agitation qui règne, on se croirait en pleine semaine. Tout le monde sur le pont, c’est pas une ambiance de weekend, en tout cas pas à l’époque où j’ai commencé aux urgences.

Les médecins ont tourné également : les tout frais de la nuit sont venu faire le point avec moi : chaque patient a été revu, les traitements vérifiés, les consignes ont été données, et les médecins nous ont transmis qu’ils passeraient toutes les 2h toute la nuit, et en cas de besoin entre temps, qu’il ne fallait pas hésiter à les appeler.

Puis la relève est arrivée, mais c’est l’infirmier du circuit court qui a dû venir prendre mes transmissions, car pour le secteur covid ils n’ont trouvé quelqu’un de disponible qu’à partir de 21h30. Ce qui est clairement mieux que rien, et en attendant… Comme d’hab… ils ont fait avec.

Le profil des patients ? entre 40 et 75 ans plus ou moins. Non vaccinés pour la majorité, les vaccinés étaient là soit pour autre chose, soit étaient des patients immunodéprimés. Arrivés en ambulance, puis par leurs propres moyens, parce qu'il n'y avait plus assez d'ambulances. Dans l’ensemble, c’est le pic du 7ème jour qui les a conduit aux urgences. Parce que ce putain de Covid il est malin, tu crois que ça va, que tu gères, chaque jour un peu mieux, et puis hop, 7è jour tu plonges. Et c’est là que la phase est critique. C’est là que ça pue du cul. C’est là que tu te retrouves intubé et en réa quand ça part en sucette. C’est là que tu demandes au médecin : quand je serai tiré d’affaire, il me faudra combien de temps avant de pouvoir me faire vacciner ? Et c’est là que tu es content parce que comme tu es là ponctuellement, tu lui réponds gentiment, et que tu ne lui hurles pas dessus « mais putain pourquoi il a fallu que tu attendes d’en être là pour y penser !!! »

Au final, j’ai bien sûr passé la journée à cravacher, la meilleure idée que j’ai eue avant de partir a été de mettre des bas de contention. Mais j’ai aussi rassuré, écouté, tenu des mains, changé des draps trempés de sueur, accompagné aux toilettes, mis des bassins, donné à boire, et souri avec les yeux. Parce que c’est le seul moyen de sourire maintenant.

Au final, quand j’ai quitté mon poste, j’avais passé 12h30 sur mes pattes de derrière, j’étais épuisée, et je me sentais sale comme jamais. Et aujourd'hui je suis en repos! Pas comme mes collègues qui ont réembauché à 7h30 ce matin, ou qui seront de nuit!

Au final, j’ai passé la porte de chez moi en disant : « bonjour de loin, ne m’approchez pas », je suis allée me déshabiller à la cave, j’ai mis mes vêtements, ma veste et même mes baskets à laver à 60°. Et je suis allée me doucher. Je me suis lavé 2 fois les cheveux, pas un cm² de mon corps n’a pas été frotté au savon, avant de pouvoir me résoudre à approcher les miens… qui pourtant, tout comme moi, sont vaccinés, exception faite de Faustine qui est trop jeune encore.

Au final, je me dis : est ce que ça sert encore de témoigner ? Les réfractaires, les personnes qui pensent qu’ « on veut nous empoisonner avec le vaccin » qui disent « de toute façon mourir de ça ou d’autre chose » voire « le Covid ne tue pas plus que la grippe », ne vont pas changer d’avis juste parce que je le leur raconte.

Au final je me dis : si je touche ne serait-ce que 2 personnes par mes mots écrits au lendemain de ce que j’ai pu voir, alors je n’aurais pas pris le temps d’écrire pour rien.

Et puis, le mot de la fin pour ce qui est de mon récit. Hier, ceux qui ont vécu la 1ère vague de plein fouet, ceux-là même ont dit : « aujourd’hui, on y est. C’est la même, et ça ne fait que commencer ».

S’il vous plait. Ne soyez pas un jour l’un de ces patients qui regrette. Allez vous faire vacciner. Je vous en conjure. Je vous en supplie. Quelle que soit la raison pour laquelle vous le ferez. Pour vous, pour vos proches, pour aller au resto. Pour ne pas un jour être le patient qui ne pourra pas être pris en réa. Pour ne pas contaminer des personnes fragiles. Pour ce que vous voudrez. Pitié, faites vous vacciner.

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