Chers lecteurs, chères lectrices.
Il y a quelques temps, je suis tombée par hasard sur une publicité pour un concours photo. Le thème était: "avoir un cancer du sein n'enlève rien à la féminité et à la force d'une femme". Cette phrase a immédiatement résonné en moi comme quelque chose de l'ordre du mantra. Pourquoi? Parce que depuis le début de cette aventure de chasse au crabe, j'observe peu à peu des changements en moi. Et plus que tout, mon propre regard sur moi évolue à une vitesse incroyable.
Pour qui me connait depuis ma plus tendre enfance, ou même depuis moins longtemps, le tableau que je vais dépeindre pour planter le décor ne vous surprendra pas. Si je vous dis que petite je planquais mes robes pour que ma maman ne les trouve pas au moment de m'aider à m'habiller le matin, l'obligeant ainsi à me mettre un pantalon un t-shirt et des baskets... Ou si je vous raconte que mon premier jeans je l'ai mis et remis, usé jusqu'à l'os, et que je le portais avec un bandana rouge autour de la jambe... que j'ai toujours pratiqué des sports plutôt violents que de la danse classique... que mon vtt avait une barre droite parce que je voulais un vélo de garçon... que la tapisserie de ma chambre d'ado était faite de tags sur un fond gris... et qu'au grand désespoir de toute ma famille, je n'ai jamais montré une quelconque affinité avec la féminité faite femme... alors vous serez en mesure de cerner un peu plus facilement qui se cachait sous le prénom si doux d'Estelle.
On pourrait penser que tout ceci était dû au fait que mes parents, grands parents, auraient préféré avoir un petit garçon qu'une fille. Mais croyez moi quand je vous dis que ce n'était pas le cas. Mon grand père paternel avait prévu de déshériter ma maman si elle ne lui faisait pas une petite fille, et elle le menaçait de lui faire un garçon s'il n'était pas sage. C'était devenu un jeu entre eux. Mais malgré mes deux chromosomes X, ma maman qui rêvait de jouer à la poupée avec moi aura dû attendre qu'à mon tour j'ai une seconde fille pour s'y mettre. Car ma grande Chloé est exactement comme moi à son âge! Et c'est Elise qui a rétabli l'ordre des choses et montré le chemin à Faustine, en apportant la touche princesse qui manquait à l'équilibre familial.
Happy end, tout est bien qui finit bien.
Et donc, revenons en à votre dévoué mouton.
Si aujourd'hui j'ai ressenti le besoin d'écrire, c'est parce qu'il s'est passé un truc assez inhabituel. Et pour être honnête ça fait quelques jours que le même phénomène se reproduit. Un truc si surprenant qu'il m'a fallu comme à mon habitude un temps d'adaptation et d'analyse avant d'être capable de vous en faire part. Savez vous ce qu'il s'est passé?
Je me suis trouvée belle.
Vous allez me dire: "whaou, rien que ça?", ou bien me taxer de mégalo. Et peut être aurez vous raison? Mais en attendant, pour moi, c'est une nouveauté qui ne cesse de m'épater depuis quelques jours.
Quand on m'a annoncé mon cancer, j'ai passé des jours à regarder mes seins, en me disant... putain, je ne veux pas qu'on me les enlève. Ils ne sont ni super fermes ni super gros, mais ils sont à moi! Et je me suis mise à les apprécier, alors qu'auparavant, ils faisaient partit du décor, et je n'y prenais pas garde.
Quand on a parlé de chimio, j'ai passé des jours à me brosser les cheveux, à me faire des coiffures, à en changer plusieurs fois en quelques heures, en me disant... putain, je ne veux pas qu'on me les enlève. Je ne m'en suis jamais vraiment trop préoccupé, même en sortant de chez le coiffeur je n'ai jamais été fan de leur volume trop important, et de toute façon au boulot je devais les planquer dans une queue de cheval, un chignon, ou au grand désespoir de mes collègues, dans des nattes qui me donnaient l'air d'une petite fille. Mais ils étaient miens, et même s'ils faisaient partit du lot, eux aussi... je me suis mise à les aimer.
Et puis est venue la question des cils et des sourcils. Alors comme vous l'imaginez, je ne me suis jamais posé la question de l'épilation des sourcils. Et là, on me dit que s'ils tombaient, il faudrait que j'apprenne à les maquiller. Les MA-QUIL-LER!!! Moi!!! Moi qui ne me suis même pas maquillée le jour de mon mariage, parce qu'en plus de ne pas être très fifille, je suis allergique aux cosmétiques... Et là, je me suis dit... putain... mais comment je vais faire, je suis nulle pour ça, je ne suis pas douée, ça va être un vrai carnage... Aujourd'hui, ils ne sont encore pas tombés, mais je suis terrorisée par cette étape. Terrorisée par une touffe de poils... belle idée!
Et puis on m'a retiré ma tumeur mais on m'a laissé mes seins. Et je suis reconnaissante à la vie pour cela.
Et puis mes cheveux sont tombés et j'ai trouvé que le look crâne rasé m'allait bien. Je suis reconnaissante pour ça aussi.
Et puis je suis devenue une fille.
Depuis quelques temps maintenant, quand je me lève, je prends ma douche (enfin bon, ça je le faisais déjà avant ne vous inquiétez pas!), et je passe du temps pour choisir ma tenue vestimentaire. Quand enfin je l'ai trouvée, je réfléchis à ce qui va aller avec pour mettre sur ma tête. Tour à tour ce sera ma perruque en mode cheveux longs, ou bien relevés avec des pinces, ou encore un foulard de telle ou telle couleur, un bonnet, ou rien. Et puis une paire de boucles d'oreilles, parce qu'avec le foulard ça me donne une petite tête de diseuse de bonne aventure qui me plait bien. Et j'accommode le tout avec un bijou autour de mon cou. Je portais tout le temps ma croix en bois. Ma marraine m'a rapporté de la part d'une de ses amie tout un assortiment de médaillons en fimo, avec des croix de toutes les couleurs. Alors maintenant je peux changer, sans laisser pour autant de côté ce symbole qui compte tellement dans ma vie. Et j'agrémente mes tenues de jolis "Jésus" comme dit Faustine.
Et je me trouve belle!
J'ai arrêté de me ronger les ongles quand on m'a dit que la chimio allait les attaquer. Et depuis, je me fais de jolis décors, avec des vernis de couleur, des autocollants, et j'aime ce moment où je prends soin de moi. D'ailleurs j'ai contaminé toutes les filles de mon entourage et on a déjà fait quelques ateliers manucure avec Chloé, Elise, ma maman et même tata girafe!
Et je me trouve belle.
Et vous savez quoi? Je découvre que se trouver jolie, ça fait un bien fou à l'estime de soi. Ca peut vous sembler logique, peut être même de l'ordre du pléonasme. Mais pour moi c'est tout nouveau...
Je suis malade. Ces changements sur moi sont les conséquences du traitement qui va me guérir de cette maladie. Mais ces modifications n'enlèvent rien à ma force et à ma féminité. Non. Plus que ça, ils ont révélé à moi cette force et cette féminité qui se cachaient derrière... un manque de confiance et d'estime? Une pudeur? Une timidité?
Tout le monde connait ce vieil adage: tout ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Aujourd'hui, je l'expérimente. Aujourd'hui j'en prends conscience. On dit souvent ce genre de phrases, même bien à propos, sans y penser. Moi, ma maladie ne me tuera pas. Elle m'a rendue fragile sur un certain nombre de plans. Mais elle me rendra plus forte et plus belle à mes propres yeux. Et si le regard des autres compte pour moi, le regard que je me porte à moi même, n'est il pas au moins aussi important?