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2015-11-22T22:35:44+01:00

C'était la dernière séance

Publié par Estelle Lang Trommenschlager
C'était la dernière séance

Chers lecteurs, chères lectrices

Il faut quand même que je vous dise ! Ca y est, c’est la quille ! La chimio, c’est fini ! Le 12 novembre, j’ai reçu la dernière dose. Je vais pouvoir tourner la page. Il faut dire que depuis le 15 juillet, le rituel de la semaine c’était : lundi prise de sang, mercredi chimio, et ensuite, essayer de vivre le plus normalement possible jusqu’à la fois suivante. Au départ, c’était toutes les 3 semaines, puis toutes les semaines. Autant dire que les jours défilaient, rythmés par les rendez vous médicaux, les analyses, les chimios, et les effets indésirables en guise de dommages collatéraux. Le reste de ma vie, de nos vies, devenait non pas secondaire, mais se devait d’être adaptable à nos nouvelles contraintes. Et puis ben… c’est comme tout : on s’y fait. Le quotidien prend en compte cette nouvelle donne, et la routine se met en place à nouveau.

Au début, je n’essayais même pas d’imaginer qu’un jour tout ça serait derrière moi. Quand on a tout à découvrir, à appréhender, à s’approprier, on a pas de temps pour ça. Et puis ça semble tellement difficile à surmonter, que le cœur n’est pas à faire des projets d’avenir. C’est trop difficile. Trop douloureux. Je ne m’en sentais pas le droit, ni la capacité… J’avais peur. Car même si ma vie n’était a priori pas en jeu, le mur qui se dressait face à moi semblait s’étendre à l’infini... Infranchissable. La chimio représentait pour moi un gouffre tellement effrayant. Le grand canyon… Moi j’étais debout, hésitante, sur un câble pas bien épais, pas bien solide, sans filet de sécurité en dessous, et je devais croire que j’arriverais à passer d’un côté à l’autre sans chuter ? Déjà qu’en temps normal j’ai le vertige et absolument aucun équilibre… là on me proposait d’y ajouter un fardeau bien lourd. Donc non, je regardais le bout de mes pieds, et tant pis pour le joli lever de soleil qui se profilait à l’horizon.

Ensuite, le temps s’est mis à défiler à une allure vertigineuse. Ce qui est plutôt une bonne chose. Parce qu’ainsi, les moments moins sympa passent aussi. Je suis plus dans le « à chaque jour suffit sa peine », et j’y trouve mon compte. Bien entendu, j’aurais voulu faire des projets de temps à autre. Mais le peu de fois où je me le suis autorisé, en me permettant un peu d’optimisme, il s’est passé quelque chose qui m’a gentiment rappelé à l’ordre… Comme l’épisode de mes vacances dans le sud… Et je reposais le regard sur le bout de mes chaussures. Elles sont sympa. Confortables, et tout…

Autour de moi, chacun vivait au rythme que m’imposait ma maladie. Parfois, pour les enfants c’était plus difficile. « Ne faites pas de bruit, maman dort »… à 15h quelle idée. « Soyez sage, maman se repose »… Alors qu’elle vient à peine de se lever ? Elles ont sûrement eu le sentiment que je les délaissais par moment. Et je me suis mis un point d’honneur à ne plus leur faire de promesses sur le long terme, préférant les surprendre sur le vif par une sortie improvisée, que de les décevoir par un changement de programme. Et je me dis que quand je retournerais dans ma vraie vie, peut être que je continuerais parfois à agir ainsi. C’est chouette de voir les mines réjouies des petites filles qui ne s’attendent pas à une surprise. Alors voilà, je prends ce que je trouve bon, et je le garde. Le reste, je le dégage sans considération aucune. Ni le temps, ni l’envie de m’encombrer du superflu. Et ça, je compte bien l’appliquer désormais. J’ai retenu un certain nombre de leçons. Le positif dans la maladie, c’est ce regard qui change, ces priorités qui sont modifiées. Ces choses qu’on pensait importantes et qui deviennent dérisoires. Ces trucs que je ne voyais pas qui deviennent essentiels…

Alors qu’il ne me restait plus que 3 chimios, mon amie Valérie s’est mise à déprimer... J’allais l’abandonner, elle et tout ce rituel qu’on avait mis en place autour de ce rendez vous hebdomadaire. Et elle devrait finir seule. J’étais prête à revenir juste pour lui tenir la main, mais elle a trouvé la parade avec notre acolyte, Yvonne dont je vous ai déjà parlé. Elles ont soudoyé les infirmières pour avoir les mêmes heures pour les séances. Donc nous on se voit avant, comme ça je la rebooste à fond avant qu’elle ne se rende à l’hôpital… Et puis le temps continue de filer, et elle aura bien vite fini aussi.

Plus ça approchait, plus je me demandais comment j’allais vivre l’arrêt des traitements... Parce que pour le coup, on avait fini par établir de petites habitudes, avec le covoiturage, les gâteaux pour tout l’hôpital de jour, les personnes qu’on a rencontrées et auxquelles je me suis attachée… Les infirmières avec lesquelles j’ai beaucoup discuté et souvent plaisanté… Le rythme des semaines qui était finalement acquis. Je suppose que tout le monde doit penser : non mais arrête, t’es pas contente, c’est fini, FI-NI, et toi tu te plains ? Mais je ne suis pas sure que vous puissiez comprendre. Tout ce qui s’est mis en place autour de moi, ça m’a permis de survivre, de ne pas sombrer, de me maintenir, de me sauver quand ça a été nécessaire. Et puis une fois les repères pris, de revivre, de me projeter, de me sentir mieux, puis bien… entourée… comprise… Le rituel a ça de rassurant qu’il apporte un cadre. Et Dieu sait qu’en ces instants de tourmente, il est important, primordial, indispensable. Et j’ai eu peur de perdre cet équilibre.

Un jour, je me suis levée, et c’était le 12 novembre.

Je l’attendais sans l’attendre. Je le comprenais sans le réaliser. C’était la dernière et pourtant je ne me sentais pas différente en me rendant ce jour là à l’hôpital. Mon gâteau sous le bras. Mon carton à la main. Heureusement, Valérie était excitée pour nous deux. Elle sautait presque partout en me disant combien elle était heureuse pour moi. J’aurais été ingrate de ne pas l’être moi aussi, alors je me suis un peu laissé contaminer par son enthousiasme. Yvonne aussi, avait les larmes aux yeux en me disant « oh mais ça y est c’est ta dernière, je suis heureuse pour toi ». Autour de moi je voyais des gens qui étaient loin d’en avoir fini. D’autres qui semble t-il n’en auraient jamais terminé. Et je les ai regardé, encore et encore. Avec de l’amour plein le coeur, et en essayant de leur envoyer toute l’énergie que j’avais en stock et dont je n’allais plus avoir besoin. Pas autant qu’eux…

Mon régulateur de débit de perfusion indiquait le temps restant sur son écran. Quand je l’ai regardé, alors que je voyais la poche de serum glucosé du rinçage se vider, il restait 30 secondes… Puis 20… Puis 10… Et nous avons finalement fait le décompte comme à nouvel an, quand tout le monde attend minuit, pour s’embrasser et se souhaiter le meilleur pour les 12 mois à venir. Moi, j’ai eu mon réveillon. Ma nouvelle année à moi, elle a commencé là, à cet instant. Car même si je n’en ai pas tout à fait fini avec l’aventure cancer, la chimio, c’est terminé. Et je me souhaite le meilleur pour l’avenir. Je ne serais plus perfusée sur mon PAC qui régulièrement me fait mal, se coince sous ma clavicule, me tire… Je ne devrais plus aller faire de prise de sang tous les lundis. A jeun… Je pourrais emmener moi-même mes filles à leurs activités du mercredi. Je serais désormais moins fatiguée, et je pourrais soulager un peu mon entourage de tout ce que je leur ai imposé malgré moi. Intellectuellement, je me rends compte que c’est vraiment bien d’en être arrivé là. Concrètement, c’est un peu plus long à percevoir. Tout le monde a surement déjà expérimenté cette sensation : l’attente extrême de quelque chose, et quand enfin on a dépassé l’instant T, notre cerveau a du mal à réaliser que ça y est, il peut se détendre. Ca m’a fait ça quand j’ai reçu les résultats de mon diplôme d’état d’infirmière par exemple. Après 3 ans et demi de dur labeur, je quittais le statut d’étudiante. Ou gamine quand j’attendais le père Noël… On prépare, on espère, on attend, on imagine… Le lendemain matin, c’était passé… et c’était bizarre…

Enfin voilà, c’est fini. Je me rapproche de la rémission. Ce mot que j’ose enfin prononcer. Qui va bientôt faire partit à son tour de ma vie. Avant ça, place à la radiothérapie. Mais ça, c’est une autre histoire ! Promis, bientôt, je vous la raconterais !

En attendant, à vous tous qui me suivez, m’encouragez, je veux dire merci. Nous venons ensemble de franchir un sacré cap. Mon parrain dirait : ça s’arrose ! Alors à la vôtre, à la mienne. Et surtout, à la VIE !

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commentaires
A
Belle rencontre ce 24.11, merci à toi! je te souhaite bonne continuation !! et pleins de belles choses
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T
Merci :)
P
le meilleur reste à venir.....
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L
champagne! et bon courage pour la suite. A toi de me suivre sur mon blog d'infirmière. Des bises
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T
Je te suis je te suis :)
T
C'est "marrant", j'y ai pensé quand j'ai lu que c'était la dernière. Je me suis dit "plus de gâteaux. Ça doit être vertigineux. Comme un sportif qui arrête sa carrière". Du coup j'ai pensé à cette interview d'un ex-rugbymen qui a écrit "la dernière passe" et qui dit "entre le savoir et le vivre il y a un abyme".
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T
Contente pour toi pour cette première lourde épreuve terminée. Merci pour ton partage qui bien souvent m'a fait pleurer c'est vrai ... Une belle leçon de vie quand on endure tout ce que tu endures. Bon courage pour les séances qui suivent et plein de gros bisous de nous deux ; nous t'aimons très fort.
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T
Et moi je vous aime encore plus :) <br /> En ce moment je pense bcp à notre escapade chez vous il y a presque un an déjà... Bisous

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