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2019-02-23T21:40:32+01:00

Atterrissage imminent dans "The Real Life"

Publié par Estelle Lang Trommenschlager

 

Chers lecteurs, chères lectrices,

Nous amorçons notre descente vers « The Real Life », destination que vous avez attendue presque autant que votre dévouée moi… Veuillez garder votre ceinture attachée jusqu’à l’arrêt complet de l’appareil, remonter vos dossiers et vos tablettes et éteindre vos appareils électroniques… sauf si vous voulez lire la suite bien sûr ! Le temps au sol est incertain car il y a beaucoup de « brouillard d’incertitude », mais on dirait tout de même que ça et là nous apercevons des rayons du « soleil de l’espoir ». La température quant à elle est bien au-delà des normales saisonnières, mais c’est le cas depuis le coup de bistouri de Marc il y a bientôt 2 ans, alors on fait avec. (cf « Je ne serai plus un éléphant », 7 avril 2017)

J’espère que vous avez passé un agréable voyage malgré les turbulences et la longueur du trajet, puisque je suis partie en avril 2015 et que vous m’avez rejoint peu après. Près de 4 ans déjà que nous partageons un peu tout, enfin que moi, je vous livre sentiments, émotions, vécu, coups de gueules… J’en profite pour remercier mon commandant de bord qui a permis que les phénomènes météorologiques de ne me secouent pas de trop : Le Seigneur, ainsi que tout l’équipage qui a œuvré pour que chaque étape soit la plus paisible possible : mon équipe médicale, paramédicale, et toute personne qui a participé au bon déroulement du périple. Quant à vous, voyageurs qui m’avez accompagnée sur mon chemin, soyez bénis, toutes et tous, car dans l’ombre ou dans la lumière, vous m’avez aidée, encouragée, soutenue, conseillée… et je suis heureuse de vous avoir eus pour compagnons de route.

Il est temps de regarder à travers vos hublots et de vous laisser porter.

Nous sommes le 21 février 2019. Il est 10h et je m’apprête à monter dans la voiture. Je suis au-dessus de moi, pas dans mon corps, encore moins dans ma tête. En pilote automatique. Plus de 2 ans que je n’ai pas enfilé une blouse, et quand je parlais de mon retour au boulot, on me disait : « oh, ça va, tu as encore le temps ! » Alors je l’ai cru. Mais tout s’est accéléré ces dernières semaines. Le fameux temps s’est emballé, il a fait tourner les aiguilles très vite, si vite que j’en ai perdu mes calculs. Un matin je croyais qu’il me restait encore 11 jours, et le soir j’ai réalisé que c’était seulement 10. Rien de grave en somme mais tout allait trop vite. 4 ans que je rêve de retrouver ma vie, et voilà que je freine des 4 fers au moment où j’entends le train d’atterrissage sortir en dessous de la carlingue ?

Nous sommes le 21 février 2019, il est 10h, et je m’apprête à monter dans la voiture. Avant de partir j’ai pris une longue douche, et je me suis habillée et maquillée. Quand je dis habillée, j’ai vite retrouvé mes vieux réflexes : jean’s, t-shirt et Converses, puisque quelques instants plus tard je serais en pyjama d’hôpital. Pas la peine de me casser trop la tête quoi. Mais je me suis maquillée, parce que j’avais un peu peur, ne connaissant pas mes nouveaux collègues encore, qu’on me prenne pour une patiente, avec mes cernes qui me donnent l’air de n’avoir pas dormi depuis 8 jours. C’est marrant, mais même moi, en me voyant, je me sens fatiguée sans maquillage et en pleine forme une fois le ravalement de façade effectué ! On ne le dira jamais assez, mais l’impact psychologique est drôlement puissant.

Nous sommes le 21 février 2019, il est 10h, et je m’apprête à monter dans la voiture. Hier, j’avais préparé mes petites affaires, mais en me levant j’ai tout ressorti et fait l’inventaire pour être sûre de ne rien oublier. J’ai pris 4 stylos, des fois que j’en perde 3 sur le chemin. Ma polaire que j’ai fait personnaliser, et qui dit fièrement : « Estelle, IDE 8680 ». IDE c’est infirmière diplômée d’état, et 8680 c’est le numéro de mon unité. Mes urgences. Enfin je les partage avec mes collègues, je ne suis pas égoïste, mais je dis mes urgences, parce que qu’est-ce que j’ai aimé travailler là-bas !… Est-ce que je vais m’y retrouver ? J’ai compté sur le planning au moins 18 nouveaux infirmiers… Et je n’ai pas vu celui des aides-soignantes et du reste du personnel. J’ai aussi mis dans mon sac ma bouteille d’eau dans laquelle je me suis pressé un demi-citron avec de l’eau fraîche. J’ai mes clés de vestiaire, mon badge sans lequel je ne pourrai aller nulle part, ma montre, mes ciseaux, ma pince Kocher, mes lunettes, parce que j’ai longtemps hésité à les porter pour le travail, mais on m’a dit que c’était plus prudent de voir où sont les veines des patients. Alors j’ai écouté les conseils… Ah, et puis j’ai aussi les gouttes pour les yeux pour mes filles parce qu’en sortant du boulot, j’enchaîne avec la consultation ophtalmo pour Chloé et Faustine. Je crois que j’ai tout. J’espère…

Nous sommes le 21 février 2019, il est 10h, et je m’apprête à monter dans la voiture. J’ai un regard vers la maison, le cœur serré en fermant la porte. Un peu comme si les grandes vacances étaient terminées. Que l’été touchait à sa fin, qu’il fallait quitter la maison des vacances et retourner dans la ville grise et polluée. Mais je n’étais pas en vacances, il n’avait pas fait beau toute la saison, et j’aimais cet endroit que j’allais retrouver. Je l’aimais… L’aimerais-je encore ? On m’a tellement parlé de lui en mal ces derniers temps… aux infos, dans le journal, mes collègues épuisés, les patients mécontents… mais qu’est-ce que je lui trouvais, à mon hôpital, moi ? Et si moi je l’aimais tant, pourquoi on disait tellement de tristes choses à son sujet ? Mais ce n’est pas l’hôpital, qui est mauvais. C’est ce qu’on en a fait. Il est juste tombé malade. Très malade. Mais c’est un autre sujet. Peut-être que je pourrais rendre un peu le sourire à mes collègues en revenant les aider dans leur tâche ? Peut-être que je pourrais adoucir un peu la peine et les peurs de mes patients, avec toute cette énergie positive que j’ai cultivée ces dernières années, dans la frustration de l’éloignement ? Je ne voudrais surtout pas paraître prétentieuse, présomptueuse… mais c’est ce que je voudrais… Alors j’espère…

Nous sommes le 21 février 2019, il est 10h15, et j’ai trouvé une place pour ma voiture. Parce que juste devant moi, une dame quittait la sienne. Chose improbable sur ce parking tout le temps blindé, destiné au personnel qui finalement doit souvent, quand pas toujours, aller à des centaines de mètres pour se garer. Du coup, je suis en avance. Comme j’ai horreur d’être en retard, ça me convient plutôt bien. Je sors mon petit sac, vérifie encore une fois que mon badge est dans ma poche, et mes clés à portée de main. Et comme un automate, je marche vers l’entrée à côté des urgences. J’ai au fond de l’estomac cette lourdeur caractéristique d’un état de peur intense. La même que le jour où j’ai passé mon diplôme, ou celle ressentie avant mes interventions chirurgicales. Je suis seule. Je ne peux faire ça que seule. Alors je mets un pied devant l’autre, et je redresse la tête. Je suis infirmière. Estelle, infirmière. Je me réhabilite mentalement dans mon statut. « Bonjour, Estelle, infirmière… » Voilà. Si je ne dois retenir qu’une seule chose à dire aujourd’hui, c’est ça !

Nous sommes le 21 février 2019, il est 10h20 parce que j’ai traîné pour avancer, et je suis devant mon casier ouvert… et vide… Nouille que je suis, j’ai juste oublié d’aller cherche mes tenues !!! Alors je me félicite d’avoir pris un peu d’avance, et je me dirige vers le service qui est juste à côté, pour récupérer mes pyjamas. Je rencontre 2 de mes nouvelles collègues et je débite ma phrase : « Bonjour, Estelle, infirmière, je reprends mon poste aujourd’hui et je viens récupérer mes tenues qui ont été mises de côté dans le local ASH » ouf, ça c’est dit ! Un joli paquet de blouses blanches badgées : « Estelle L, Infirmière », m’attendait. Martine les avait rangées dans le local afin qu’on ne me les pique pas avant même que je ne revienne. Les chefs étaient dans le secret parait-il ! C’est drôlement sympa, ça m’a vraiment touchée.

Après cela, je n’ai plus regardé l’heure.

Je suis allée me changer, j’ai mis mes carnets dans ma poche droite, mes stylos et mon badge dans la poche de poitrine, et mes clés et matériel dans la poche gauche. Mes jolies baskets avec des nounours infirmiers que j’ai choisies depuis longtemps déjà dans la perspective de revenir m’ont fait sourire. Elles mettaient un peu de gaité à ma tenue plus blanche que blanche, donnant un air un peu moins sérieux, plus « moi ». J’ai bien rangé mes vêtements de ville, et je suis partie travailler.

La première personne que j’ai rencontrée a été Michaël, un des cadres, le premier qui a été au courant de ma maladie. Je suis allée lui dire bonjour, et je lui ai gentiment expliqué que je devais aller voir Noémie, l’autre cadre, qui devait m’accueillir pour me permettre d’atterrir sereinement sur le tarmac de mon retour à la vie professionnelle. Et là, douche froide. « Noémie ? Ca m’étonnerait, elle est en vacances ! » Et vlan… Alors j’avais envisagé pas mal de cas de figure sur ce qui pourrait se passer, mais évidemment, pas celui-ci ! Du coup Michaël m’a fait refaire un petit tour du propriétaire, mais avant qu’on puisse finir, il a été demandé ailleurs. Je suis donc allée me présenter à mes nouveaux collègues. « Bonjour, Estelle, infirmière, je reviens de longue maladie c’est mon premier jour ». En substance, ça donnait toujours un peu ça. Après j’ai fait quelques variantes, quand je me suis sentie plus à l’aise. Genre : « Bonjour, je suis Estelle infirmière, je reprends aujourd’hui mon poste à mi-temps thérapeutique après un long arrêt ». Vous saisissez la subtilité ? Faut pas croire, sortir de son texte, c’est vachement dur, même pour un artiste !

Enfin bref. Et là, miracle, il y avait Isa et Charlène. Oh, deux visages connus !!! Comme ça faisait du bien ! Du coup, c’est Charlène qui m’a accompagnée et montré un peu les différents changements au sein du service, et ça m’a redonné confiance de retrouver un peu mes marques. Et puis j’ai revu les médecins, et ouf, sur 3 je les connaissais tous ! Il y avait Julie, Laura et Bruno, alors je me suis retrouvée en terrain connu, et franchement, ça fait du bien.

Les filles du SMUR sont venues me dire bonjour. Ca aussi ça m’a fait trop plaisir ! Adeline, Magali, Steph… Et puis j’ai retrouvé Christine, ma coach es cancer, avec une immense joie aussi !

Pour mon retour, je pense que les gens du coin se sont dit qu’il valait mieux me laisser le temps de me refaire un peu la main avant de venir consulter. On ne sait jamais des fois que je ne sache plus comment piquer… Du coup, c’était hyper calme. De quoi faire mentir les médias ! On le paiera plus tard mais en attendant, ça tombait plutôt bien. Manon et Tiffany, mes deux jeunes et dynamiques nouvelles collègues, ont été super accueillantes. Je me suis immédiatement sentie bien avec elles. Punaise, comme c’est agréable d’être là !

Ma première patiente voulait faire pipi. J’ai sauté sur l’occasion pour rentrer dans les soins en lui apportant le bassin. Le plus dur, c’est de se décider à remettre la main à la pâte. Et je me suis rendu compte que j’avais toujours la foi. Le feu. Le truc qui fait que quand je suis avec un patient, je suis avec lui et avec personne d’autre. Que c’est mon truc, le soin. Dans toutes ses dimensions. Parce que ce 21 février, je n’ai pas fait de prise de sang. Je n’ai pas posé de perfusion non plus. Par contre j’ai fait une petite toilette à une dame, j’ai mis des bassins, j’ai aidé une personne à se déshabiller pour enfiler une blouse d’hôpital, et j’ai pratiqué des analyses d’urine. Et j’ai souris, parlé avec les gens, écouté ce qu’ils avaient à me dire, et j’étais bien. Je veux dire, j’étais à ma place. Je savais que je ne voulais être nulle part ailleurs.

Je n’ai pas regardé l’heure. Et puis ça a été le moment des transmissions. J’ai revu d’autres collègues, j’en ai rencontré encore. Je n’ai pas retenu tous les prénoms, mais j’étais là, comme avant, et pas tout à fait non plus.

Au vestiaire, je souriais encore. En rentrant, je souriais toujours. Le soir en me couchant, je me suis dit : « chouette, demain je retourne au travail ». Et le 21 février s’est terminé sur cette bonne nouvelle.

 

Nous sommes le 22 février 2019, il est 10h, et je m’apprête à monter dans la voiture. Mais ce matin, c’est le dernier jour de vacances des filles. Avant de partir, je leur ai donné des consignes. Je leur ai demandé d’être sages, de faire leurs devoirs, parce que je partais travailler. Chloé a souri en me disant : « ça fait drôle de t’entendre dire ça ». Eh oui… ça fait loin tout ça mes chéries ! Elle avait un sourire empli de bienveillance, de tendresse envers sa maman. Ma grande fille qui a bien compris quelle importance ça a pour moi de reprendre cette partie de ma vie. Et mon cœur de maman était rassuré. Elise n’a rien dit, mais elle n’est pas ravie que je ne sois plus tout le temps là. Elle semble avoir peur. Mais avec sa grande sœur, elle est entre de bonnes mains. Et Faustine, je l’ai déposée à l’école de prière avant de partir, alors ça ne lui posait absolument pas de problème.

Second jour de travail, et encore de nouveaux collègues. Mais oh joie immense, ce matin il y avait Laurence. Ma grande sœur… Celle que j’ai choisie et qui m’a choisie. Avant on bossait vraiment rarement ensemble. Et là, pour mon premier vrai jour, elle était là. Tellement de bonheur ! Et puis il y avait Sandi et Béné. Finalement je ne me suis pas trompée d’hôpital, c’est bien celui que j’ai quitté il y a quelques mois ! Soupir de soulagement…

Je me présente encore. Ca risque de durer un certain temps ! C’est pas toujours confortable, parce qu’il y en a certains à qui je me suis présentée 2 fois, preuve que je n’avais pas imprimé qui ils étaient… Pour ma défense, il s’agissait des internes, et entre les inf, les AS, les médecins et les internes, les élèves aussi, on montait le nombre de prénoms à retenir à une dizaine… Vous imaginez ? Ma mémoire en compote n’a rien compris. Ca faisait un bail que je n’avais pas joué au memory, et là on passait directement au high level !

La matinée a été très agréable. Du boulot mais pas trop, des urgences sérieuses mais bien prises en charge, Antoine et Cyndia mes collègues de secteur super sympas et très pro, Isa notre AS que j’ai retrouvée avec plaisir… Et la visite de Fred qui est passée me faire un coucou entre deux patients. Comment ne pas me sentir bien ?

Allez, ma vieille, si tu veux retrouver confiance en toi, il va falloir foncer. Alors les « Estelle infirmière qui revient de maladie » c’est bien sympa, mais Estelle infirmière qui prend en charge ses patients du début à la fin, c’est encore mieux !

Et j’ai replongé… Entièrement… Corps et âme. Et je sais. Je sais que j’ai bien fait de revenir là où je me suis arrêtée. Là où ça n’a pas été mon choix de m’en aller. Aujourd’hui, je n’ai aucune idée de ce qui m’attend dans les prochains mois. Mais je sais que la boucle est en passe de se boucler. Je ne suis plus tout à fait la même, mais la maladie ne m’aura pas volé ce rêve. Je suis de retour. Estelle, infirmière aux urgences, mariée, maman de 3 enfants, et wonder tortue fighteuse de crabe, est de retour.

Mesdames et messieurs, je vous annonce que nous nous sommes posés sans encombre à l’aéroport de « The Real Life », et je vous remercie de votre patience lors des manœuvres d’amarrage de l’appareil. Vous pouvez à présent vous détacher, vous lever, et vous diriger vers la sortie. Vous serez bienvenus à bord lors du prochain épisode, votre place est d’ores et déjà réservée. Pour ma part, je suis en week-end, ça fait longtemps que je n’ai pu dire cela, et je savoure, si vous saviez comme je savoure…

A très bientôt, chers lecteurs et chères lectrices ! Et tellement merci !

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commentaires
A
mais quel bonheur !!!! <br /> que de victoires...la Vie est devant ..<br /> Merci de nous y entraîner
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T
tellement d'accord ma chère afa!!!
R
De tout coeur avec vous pour cette reprise au travail . Je ne doute pas que vos collègues ont été heureuses de vous retrouver. J'imagine sans mal votre regard bienveillant sur les patients qui viennent aux urgences le coeur et le corps douloureux. Car vous savez mieux que quiconque ce qu'une personne qui a mal ressent. Je suis une ancienne soignante. J'ai été malade. Et cela m'a aidé à comprendre les personnes à qui j'ai apporté des soins. J'ai lu et relu votre livre et vous n'avez même pas idée combien il m'aide. MERCI. Douce soirée.
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T
Mille mercis chere Roselyne ❤❤❤
D
Que ca bien de lire que tout c'est bien passé. Merci de partager cela avec nous. Vous êtes une guerrière courageuse. Un exemple pour nous tous. Bravo ma belle tortue????????????????
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